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sais les apprécier. Quoiqu’il soit triste de penser au bonheur passé et surtout à celui qu’on a laissé passer sans avoir su en profiter, j’aime cette espèce de tristesse et j’y puise quelquefois des moments bien doux. —

Depuis mon voyage et séjour à Tiffliss mon genre de vie n’est pas changé: je tâche de faire le moins de connaissances possibles et de m’abstenir de l’intimité de celles que j’ai. — On est habitué à ma manière, on ne m’importune plus et je suis sûr qu’on dit que je suis un чудакъ et гордецъ. Ce n’est pas par fierté que je me conduis ainsi, mais cela s’est fait de soi même: il y a une trop grande différence dans l’éducation, les sentiments et la manière de voir de ceux que je rencontre ici, pour que jè trouve quelque plaisir avec eux. Il n’y a que Nicolas8 qui a le talent, malgré l’énorme différence qu’il y a entre lui et tous ces messieurs, à s’amuser avec eux et à être aimé de tous. Je lui envie ce talent, mais je sens que je ne puis en faire autant. — Il est vrai que ce genre de vie n’est pas fait pour s’amuser, aussi il y a bien longtems que je ne pense plus aux plaisirs, je pense à être tranquille et content. — Depuis quelque tems je commence à prendre gout pour les lectures historiques (c’était un point de dispute entre nous et sur lequel à présent je suis tout-à-fait de votre avis); mes occupations littéraires vont aussi leur petit train quoique je ne pense pas encore à rien imprimer. J’ai trois fois refait un ouvrage que j’ai commenceé il y a bien longtemps et je compte le refaire encore une fois, pour en être content. Peut être que ce sera comme le travail de Pénélope;9 mais cela ne me dégoute pas, je ne compose pas par ambition, mais par gout — je trouve mon plaisir et mon utilité à travailler et je travaille.10 Quoique je sois bien loin de m’amuser comme je vous l’ai dit, je suis aussi bien loin de m’ennuyer; parce que je suis occupé; mais excepté cela je goûte un plaisir plus doux et plus élevé que celui qu’aurait pu me donner la société — celui de sentir le repos de ma conscience, de se connaitre et de se savoir mieux apprécier que je ne l’avais fait, et de sentir remuer en moi des sentiments bons et généreux. — Il y a eu un tems où j’étais vain de mon esprit, de ma position dans le monde, de mon nom; mais à présent je sais et je sens que s’il y a en moi quelque chose de bon si j’ai à en rendre grace à la Providence c’est pour un coeur bon, sensible et capable d’amour, qu’il lui a plu de me donner et de me conserver. C’est à lui seul que je suis redevable des moments les

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