Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Pythonisse d’Endor

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Henri Plon (p. 566).
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Pythonisse d’Endor. L’histoire de la pythonisse dont il est parlé dans le vingt-huitième chapitre du premier livre des Rois a exercé beaucoup de savants, et leurs opinions sont partagées. Les uns croient que cette femme évoqua véritablement l’âme de Samuel, et les autres n’en sont nullement persuadés. Le cardinal Bellarmin, qui est de la première opinion, appuie fort sur les paroles de la pythonisse, qui dit « qu’elle a vu un homme haut avec sa robe, et que par là Saül connut que ce devait être Samuel. » Il y a dans l’hébreu Élohim, qui, par quelques-uns a été traduit des dieux, un dieu, un homme divin, un grand homme ; par Jonathan, l’ange du Seigneur ; et ceux qui sont faits au style de l’Écriture se souviendront du vingt-deuxième chapitre de l’Exode : Tu ne médiras point d’Élohim ou de l’ange du Seigneur, c’est-à-dire des magistrats, des juges du peuple et des prophètes. Dans le verset douzième, elle dit qu’elle a vu Samuel, et c’est une manière de parler dans toutes les langues, où l’on appelle dumom des choses la plupart de celles qui les représentent. Nicolas de Lyre dit à ce propos : Rerum similitudines in sacra Scriptura fréquenter nominantur nominibus ipsarum. Quand Pharaon vit sept vaches grasses et sept vaches maigres, sept épis de blé qui étaint sortis d’un tuyau et sept autres qui étaient flétris, il ne vit ni ces épis ni ces vaches, puisqu’il songea seulement qu’il les voyait. Où il est dit que Saül connut que ce devait être Samuel, le mot hébreu a été rendu par crut, s’imagina, se mit dans l’esprit ; et l’opinion de saint Augustin est que Satan, qui se transforme quelquefois en ange de lumière, apparut sous la forme de Samuel à la pythonisse.

Rabby Ménassé Ben Israël, qui, dans le deuxième livre de la Résurrection des morts, chap. vi, ne trouve point de fondement dans l’opinion de saint Augustin, établit pour une maxime indubitable qu’il y a certains esprits qui peuvent se mettre dans le corps les âmes de ceux qui n’ont plus de vie, parce que l’âme n’est pas tout à fait absente du corps la première année qui suit la mort[1] ; que dans ce temps-là elle y peut rentrer et en sortir, et qu’après ce temps elle ne dépend plus de ces esprits. Mais il raisonne sur une fausseté, qu’il suppose comme une vérité indubitable avec la plupart des talmudistes. Quoique Saül soit mort sept mois après Samuel, comme le croient quelques-uns, cela ne fait rien pour Ménassé, qui ne s’en rapporte qu’à ses rabbins, fort persuadés, avec l’auteur du Juchasin, qu’il y a eu deux années entières entre la mort de l’un et de l’autre. Si ces esprits dont il parle sont des démons, les âmes des bienheureux ne peuvent être de leur dépendance ; et si ces esprits sont eux-mêmes bienheureux, ils n’envient point la félicité de leurs semblables, et ne pourront pas les rendre sujets au pouvoir prétendu d’une pythonisse. Quidam dicunt Samuelem vere revocatum esse, dit Procope de Gaza sur le verset : J’ai vu un grand homme qui montait : Quid magis impium est, quam si dicamus dæmones incantamentis curiosorum, in animas potestatem habere, in quas, quo ad homines vixerunt, potestatem nullam habuerunt ? On peut cependant remarquer ici que Saül, qui auparavant avait tâché d’exterminer tous les devins, était persuadé du contraire, puisqu’il demande à cette femme qu’elle lui fasse voir Samuel ; et c’est de là qu’elle eut une occasion de le tromper, comme l’a remarqué Van Dale dans son livre des Oracles, qu’il a donné au public.

En effet, quoiqu’elle feignît de ne point connaître ce premier roi des Israélites qui s’était déguisé et avait changé d’habit, il ne pouvait pas lui être inconnu ; son palais ne devait pas être fort éloigné de la maison de la pythonisse ; et il était assez remarquable par sa beauté, puisqu’il était le plus beau des Israélites, et par sa taille, puisqu’il surpassait les autres hommes de toute la tête. Ajoutez que toute cette pièce fut jouée par la pythonisse que Saül interrogea sans avoir rien vu ; il y avait peut-être quelque muraille ou quelque autre séparation entre lui et elle. Comme elle connaissait le trouble d’esprit où était le roi pour ce que Samuel lui avait prédit, et que les armées des Israélites et des Philistins étaient en présence, elle put lui dire fort sûrement : « Toi et ton fils serez demain avec moi, ou vous ne serez plus au monde. » Pour ne pas porter son coup à faux, elle se servit du mot machar, demain, qui signifie un temps à venir indéfini, bientôt, comme on le peut voir dans le Deutéronome, chap. vi, vers. 20, et dans Josué, chap. iv, vers. 6. Objicere aliquis posset, ajoute Procope de Gaza, ignorantiam mortis Saulis ; non enim postero die, sed diebus aliquot interjectis, videtur obiisse. Nisi dicamus, etc. Ainsi la scène a pu se passer naturellement, sans le secours de la magie, par la seule adresse d’une femme qui devait être assez bien instruite dans son métier[2].


  1. Voyez Purgatoire.
  2. Chevræana, t. I, p. 284.