Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Sibylles

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Henri Plon (p. 609-610).

Sibylles. Les sibylles étaient chez les anciens des femmes enthousiastes qui ont laissé une

 
Caricature allemande de la sibylle qui donne à Énée le rameau d’or
Caricature allemande de la sibylle qui donne à Énée le rameau d’or
Caricature allemande de la sibylle qui donne à Énée le rameau d’or.
 
grande renommée, et les paroles de plusieurs ont eu un cachet respectable. Ou il faut admettre que quelques-unes ont été inspirées, ou il faut refuser à plusieurs des saints Pères un crédit qu’ils méritent assurément. Leurs prophéties étaient en langage poétique. Malheureusement les originaux sont presque tous perdus, et les morceaux qui nous en restent passent pour supposés en grande partie. Enée, dans Virgile, s’adresse à une sibylle pour obtenir le rameau d’or qui doit le protéger aux enfers. Les sibylles sont au nombre de dix selon Varron ; d’autres en comptent jusqu’à douze :

1° La sibylle de Perse. Elle se nommait Sam-bethe ; on la dit bru de Noé dans des vers sibyllins apocryphes.

2° La sibylle libyenne. Elle voyagea à Samos, à Delphes, à Claros et dans plusieurs autres pays. On lui attribue des vers contre l’idolâtrie : elle reproche aux hommes la sottise qu’ils font de placer leur espoir de salut dans un dieu de pierre ou d’airain, et d’adorer les ouvrages de leurs mains.

3° La sibylle de Delphes. Elle était fille du devin Tirésias. Après la seconde prise de Thèbes, elle fut consacrée au temple de Delphes par les Épigones, descendants des guerriers qui avaient pris Thèbes la première fois. Ce fut elle, selon Diodore, qui porta la première le nom de sibylle. Elle a célébré dans ses vers la grandeur divine ; et des savants prétendent qu’Homère a tiré parti de quelques-unes de ses pensées.

4° La sibylle d’Érythrée. Elle a prédit la guerre de Troie, dans le temps où les Grecs s’embarquaient pour cette expédition. Elle a prévu aussi qu’Homère chanterait cette guerre longue et cruelle. Si l’on en croit Eusèbe et saint Augustin, elle connaissait les livres de Moïse ; elle a parlé en effet de l’attente de Jésus-Christ. On lui attribue même des vers dont les premières lettres expriment, par acrostiche, Jésus-Christ, fils de Dieu. On l’a quelquefois représentée avec un petit Jésus et deux anges à ses pieds.

5° La sibylle cimmérienne a parlé de la sainte Vierge plus clairement encore que celle d’Érythrée, puisque, selon Suidas, elle la nomme par son propre nom.

6° La sibylle de Samos a prédit que les Juifs crucifieraient un juste qui serait le vrai Dieu.

7° La sibylle de Cumes, la plus célèbre de toutes, faisait sa résidence ordinaire à Cumes, en Italie. On l’appelait Déiphobe ; elle était fille de Glaucus et prêtresse d’Apollon. Elle rendait ses oracles au fond d’un antre qui avait cent portes, d’où sortaient autant de voix qui faisaient entendre ses réponses. Ce fut elle qui offrit à Tarquin le Superbe un recueil de vers sibyllins, dont on sait qu’il ne reçut que la quatrième partie : ces vers furent soigneusement conservés dans les archives de l’empire, au Capitole. Cet édifice ayant été brûlé du temps de Sylla, Auguste fit ramasser tout ce qu’il put de fragments détachés des vers sibyllins et les fit mettre dans des coffres d’or au pied de la statue d’Apollon Palatin[1], où l’on allait les consulter. Petit, dans son traité De sibylla, prétend qu’il n’y a jamais eu qu’une sibylle, celle de Cumes, dont on a partagé les actions et les voyages. Ce qui a donné lieu, selon lui, à cette multiplicité, c’est que cette fille mystérieuse a prophétisé en divers pays, mais c’est là une idée de savant à système.

8° La sibylle hellespontine. Elle naquit à Marpèse, dans la Troade : elle prophétisa du temps de Solon et de Crésus. On lui attribue aussi des prophéties sur la naissance de Notre-Seigneur.

9° La sibylle phrygienne. Elle rendait ses oracles à Ancyre, en Galatie. Elle a prédit l’annonciation et la naissance du Sauveur.

10° La sibylle tiburtine ou Albunée, qui fut honorée à Tibur comme une femme divine. Elle prédit que Jésus-Christ naîtrait d’une vierge à Bethléem et régnerait sur le monde.

11° La sibylle d’Épire. Elle a aussi prédit la naissance du Sauveur.

12° La sibylle égyptienne, a chanté également les mystères de la Passion et la trahison de Judas. Saint Jérôme pense que les sibylles avaient reçu du ciel le don de lire dans l’avenir en récompense de leur chasteté. Mais il paraît que les huit livres sibyllins que nous avons aujourd’hui sont en effet douteux. Bergier, dans son savant Dictionnaire de théologie, les croit supposés et les attribue dans ce cas aux gnostiques du deuxième siècle.


  1. On appelait quindécemvirs les quinze magistrats préposés pour consulter les livres des sibylles. Mais ces livres, où l’on croyait contenues les destinées du peuple romain, ayant été brûlés, l’an de Rome 670, avec le Capitole où ils étaient gardés, on envoya de tous côtés des ambassadeurs faire la recherche des oracles des sibylles, et les quindécemvirs en composèrent d’autres livres qu’Auguste fit cacher sous le piédestal de la statue d’Apollon Palatin. Ils avaient été d’abord établis par Tarquin au nombre de deux, puis furent portés à dix, et enfin jusqu’à quinze par Sylla. On les créait de la même manière que les pontifes. (Le Livre unique, n° 15.)