Mémoire sur l’hyperboloïde de révolution, et sur les hexagones de Pascal et de M. Brianchon

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Mémoire sur l’hyperboloïde de révolution, et sur les hexagones de Pascal et de M. Brianchon
Nouveaux mémoires de l’Académie Royale des Sciences et Belles-Lettres de BruxellesT. III (p. 3-16).
THÉORÈME.

Quelles que soient les positions respectives d’un cône droit et d’un plan dans l’espace, il faut toujours qu’ils se coupent quelque part ; et l’on peut en général concevoir deux sphères, qui, touchant le cône dans son intérieur, touchent aussi le plan sécant. Alors les deux points de contact du plan et des sphères sont les foyers de la section conique.

Par l’axe du cône menons un plan perpendiculaire au plan de la section. Il coupera le cône suivant et (Fig. 1), les deux sphères suivant les cercles et tangentes à ces deux directes, et le plan de la section suivant la droite tangente aux deux cercles en et , qui seront les points de contact des sphères et du plan de la section.

Les deux sphères toucheront le cône suivant deux cercles parallèles, perpendiculaires tous deux au plan , et dont les traces sur ce plan sont et .

Tout cela posé, menons quelque part une arête du cône ; cette arête touchera les deux sphères en et en sur la circonférence des cercles et , et la distance sera évidemment égale à .

Cette arête coupera aussi le plan de la section en un point , dont la projection est en sur la trace ou le grand axe de la section, et si on mène les droites , , elles seront tangentes l’une à la sphère , l’autre à la sphère  ; mais est aussi tangente à la sphère , donc et sont égales, et par la même raison on a aussi . D’où il suit que ou ou est égal à la somme des rayons et menés des points et , au point de la courbe ; mais comme le point est arbitraire et que est constant, on voit que cette propriété a lieu pour tous les points de la section ; ainsi cette courbe est une ellipse dont les foyers sont et .

On démontrerait exactement de la même façon la même chose pour la parabole et l’hyperbole, ainsi nous regarderons notre théorème général comme démontré.

On pourrait facilement prouver en renversant ce raisonnement que par toute section conique dont on connaît un foyer, on pourra toujours faire passer un cône tangent à toute sphère tangente elle-même au plan de la section à son foyer ; soit, par exemple, le grand axe de la courbe donnée, son foyer, un plan perpendiculaire au plan de la courbe ; on trace sur ce plan un cercle quelconque tangent à l’axe en , puis menant par les extrémités de l’axe les tangentes , , le point sera évidemment le sommet d’un cône droit qui passera par la courbe donnée, ce qu’il est facile de prouver ; car d’après ce que nous avons vu, son intersection avec le plan de cette courbe aura pour foyer , et pour grand axe  ; c’est tout ce qu’il faut pour être identique avec la courbe donnée.

3. On voit que le nombre des cônes qu’on pourra déterminer ainsi est infini. Du reste, ce qu’ils ont de commun est d’abord d’avoir tous leurs sommets dans un même plan. Ensuite on a toujours , , , , , d’où l’on tire,

 ;
d’où il suit que tous les sommets des cônes qui passent par une ellipse, sont sur une hyperbole qui a pour foyers les bouts du grand axe de l’ellipse, et pour grand axe l’excentricité de l’ellipse. Un théorème semblable a lieu pour la parabole et pour l’hyperbole, et se démontre aussi aisément. Cette propriété des sections coniques a du reste été démontrée par mon savant collègue, M. Quetelet, qui, je pense, l’a le premier reconnue.

4. Si l’on place une ligne droite indéfinie de manière à ce qu’elle soit en contact avec une sphère, et qu’on donne ensuite à la sphère un mouvement de rotation autour d’un de ses diamètres rendu immobile, elle emportera avec elle la droite qu’on lui suppose adhérente, et qui, dans ce mouvement, décrira la surface appelée hyperboloïde de révolution.

L’hyperboloïde de révolution contient le cône droit comme cas particulier ; on n’a pour cela qu’à donner à la droite une position telle qu’elle coupe le diamètre fixe. Ainsi on est en droit de conclure que toutes les sections coniques peuvent être considérées comme venant de l’hyperboloïde ; mais on peut démontrer cela autrement.

5. Sur le prolongement du diamètre immobile, et avant le mouvement de rotation, on peut supposer les centres d’autant de sphères qu’on voudra, tangentes à la ligne droite dont nous avons parlé, et que nous nommerons génératrice ; ensuite mettant tout le système en rotation, toutes ces sphères seront tangentes, suivant des cercles perpendiculaires au diamètre immobile, à l’hyperboloïde engendrée.

Toutes ces sphères, pourront, en rigueur, être considérées comme les cas particuliers d’une même sphère variable de centre et de rayon, et qui glisserait dans l’intérieur de l’hyperboloïde.

6. Si par le point de contact de la sphère primitive et de la génératrice, on avait mené une autre droite également tangente à la sphère, et faisant avec le diamètre immobile un angle supplément de celui que fait, avec cet axe, la première génératrice, cette seconde droite aurait dans le mouvement de rotation engendré une surface absolument identique avec la première.

On peut donc concevoir l’hyperboloïde de révolution comme composée de deux systèmes de droites, faisant toutes les mêmes angles, mais en sens inverse avec l’axe de la surface. En sorte qu’appelant un de ces systèmes, système direct, et l’autre système inverse, on pourra établir que :

7. Par tout point de l’hyperboloïde passent deux génératrices, l’une directe, l’autre inverse.

8. Que chaque génératrice directe, rencontre toutes les inverses et réciproquement.

9. Qu’une génératrice directe ne peut jamais rencontrer une génératrice directe ; et vice-versa, que les génératrices inverses ne peuvent jamais se couper.

10. Théorème. Deux sphères tangentes à l’hyperboloïde étant données, si on mène un plan tangent en et à ces deux sphères, il coupera l’hyperboloïde suivant une courbe analogue aux sections coniques, et dont les foyers seront et .

Soient et les centres des deux sphères que nous désignerons par l’indication de leurs centres. Ces deux sphères toucheront l’hyperboloïde suivant deux cercles parallèles et . Par un point quelconque de l’intersection de l’hyperboloïde et du plan , menons une génératrice quelconque. Elle sera tangente quelque part en et aux deux sphères, et les points et se trouveront, l’un sur le cercle , l’autre sur .

Maintenant par le point menons les droites et  ; la première sera évidemment égale à , la seconde à , puisque les deux premières sont deux tangentes menées du point à la sphère , et les deux secondes à la sphère .

Or, il arrivera de deux choses l’une ; ou le point sera compris entre les cercles et , et alors tous les autres points de la section y seront compris ; ou le point sera hors de l’intervalle entre les cercles, et alors la même chose aura évidemment lieu pour tous les autres points de la section.

Dans le premier cas on aura :

,
dans le second, on aura
.
Mais , c’est-à-dire la longueur de la portion de génératrice, comprise entre les cercles et , est constante quelle que soit la position du point  : donc dans le premier cas la courbe sera une ellipse dont les foyers seront et  ; et dans le second cas, une hyperbole dont les foyers seront aussi et .

11. Il peut se présenter un cas où il ne puisse être mené qu’une sphère tangente au plan sécant, ce cas est celui de la parabole. Je crois inutile de m’y arrêter, puisque ce n’est qu’une particularisation des deux autres.

12. Théorème. Par toute section conique on peut mener une hyperboloïde de révolution.

Par l’extrémité du grand axe menez une droite à volonté hors du plan de la courbe ; par chacun des foyers menez une sphère tangente au plan de la courbe et à la droite : faites alors tourner la droite et les deux sphères autour du diamètre commun à ces dernières, vous formerez une hyperboloïde dont la section aura deux foyers et un bout du grand axe, commun avec la courbe proposée ; c’est tout ce qu’il faut pour établir l’identité.

En considérant la parabole comme une ellipse d’une excentricité infinie, le raisonnement ci-dessus s’y applique mot à mot. Ainsi, toute section conique peut être considérée comme si elle appartenait à l’hyperboloïde.

Le théorème précédent (10) est susceptible d’une extension intéressante que voici.

Un plan quelconque et une hyperboloïde de révolution étant donnés, en faisant prendre à une sphère tangente à l’hyperboloïde toutes les positions possibles, elle finira par couper quelque part le plan  ; alors il sera possible de mener par la section sur l’hyperboloïde deux cônes droits tangens à la sphère. Ensuite, si par l’une des extrémités du diamètre perpendiculaire à , on mène deux droites aux sommets des deux cônes, elles couperont le plan , suivant les deux foyers de la section.

Ce théorème se déduit si simplement de ce que nous avons vu, que je n’ai pas cru nécessaire de le démontrer. On peut en tirer quelques corollaires curieux, mais ils se présenteront d’eux-mêmes à ceux qui sont curieux de ces sortes de choses.

13. Imaginons sur l’hyperboloïde les traces de six génératrices, trois directes et trois inverses. Chaque génératrice sera coupée en trois points par les trois génératrices du système opposé, ce qui donnera en tout dix-huit points d’intersection, qui se réduisent à neuf points différens : parmi ces points, prenons en six arbitrairement, mais tels pourtant qu’il n’y en ait jamais plus de deux sur la même droite ; nous formerons un hexagone gauche dont les côtés seront alternativement formés de segmens de génératrices directes et inverses. Désignons ces côtés par les lettres

.
La lettre se rapportant aux génératrices directes, et la lettre aux inverses, et ces lettres étant dans l’ordre des côtés, en sorte que soit contigu à , à et à . Désignons en outre l’angle formé par deux côtés par les deux lettres accolées surmontées du signe , et les points communs à deux côtés par ces lettres simplement accolées, en sorte que soit l’angle des arrêtes et , et le sommet de cet angle ; nous aurons tout ce qu’il faut pour reconnaître dans l’espace toutes les parties de notre hexagone.

14. Avant d’aller plus loin, je dois définir les angles et les côtés opposés. Les côtés opposés sont ceux qui, dans l’ordre des côtés, sont séparés par deux autres côtés ; ainsi les côtés et sont opposés ; les angles opposés sont ceux formés par des côtés respectivement opposés ; ainsi l’angle est opposé de . Les diagonales sont les droites qui joignent les sommets des angles opposés.

15. Théorème. Dans l’hexagone gauche tracé sur l’hyperboloïde, les plans des angles opposés se rencontrent deux à deux suivant trois droites, situées dans un même plan.

En effet, soient d’abord les côtés opposés et , comme ils font partie d’une génératrice directe et d’une inverse, ils se rencontrent évidemment en un point .

Les deux génératrices opposées et se rencontreront aussi en  ; ainsi le plan de l’angle et le plan de l’angle opposé passeront tous deux par les points ,  : leur intersection passera donc par ces points.

On voit de même que l’intersection des plans des angles opposés et passera par les points et .

Et enfin, l’intersection des plans des deux derniers angles opposés et passera par les points et .

La première et la seconde ont donc le point commun. La seconde et la troisième le point , et enfin la troisième et la première le point  ; ces trois droites sont donc comprises dans un même plan passant par les points .

16. Par une section conique faisons passer une hyperboloïde de révolution. Prenons sur la courbe six points arbitraires et faisons passer par ces points autant de génératrices de même indice, comme au no 13. Les traces des angles plans de l’hexagone, tracé ainsi sur l’hyperboloïde, étant prises dans le plan de la courbe, formeront un hexagone inscrit à cette courbe, et dont les côtés opposés correspondront aux angles opposés de l’hexagone gauche. Les intersections de ces côtés prolongés, s’il le faut, se trouveront donc aux points où le plan de la courbe est coupé par les lignes d’intersection des plans des angles opposés de l’hexagone gauche ; mais ces dernières lignes étant dans un même plan, leurs intersections avec le plan de la courbe seront en ligne droite, donc :

Les trois points résultant des intersections des trois couples des côtés opposés d’un hexagone quelconque inscrit à une section conique, sont toujours en ligne droite.

17. Ce beau théorème dû à Pascal, et que l’on a jusqu’à présent démontré de diverses manières, mais presque toujours en employant l’analyse, me semble avoir dû être découvert par une méthode à-peu-près analogue à celle que je viens d’employer ; et en effet, quand on examine bien cette marche, on voit qu’elle n’exige ni calculs, ni connaissance de la théorie des surfaces du second degré, et que du reste elle est très-analogue au caractère des recherches d’alors. Il paraît que Pascal voulait partir de cette propriété pour sa théorie des sections coniques. Il est effectivement facile d’en déduire toutes les propriétés de ces courbes, d’une manière fort élégante ; mais ce n’est point ici le lieu de traiter cette question.

18. Si dans l’hexagone gauche on mène les trois diagonales qui joignent les sommets des trois couples des angles opposés, ces trois diagonales passent par le même point.

Soient en effet les deux angles opposés et  : par les deux génératrices d’espèce opposée et , menons le plan [1], ce qui est possible, ce plan contiendra la diagonale qui joint les sommets des deux angles.

Menons ensuite le plan  ; il contiendra également cette diagonale.

Soient encore les deux angles opposés et  : on voit que la diagonale qui joint leurs sommets, se trouve à la fois sur les deux plans et .

Et enfin soient les deux angles opposés et , leur diagonale sera visiblement sur les plans et .

La première et la seconde diagonale sont donc sur un même plan , la seconde et la troisième sur un autre plan , la troisième et la première ensemble, aussi sur un troisième plan . Ces trois diagonales sont donc les arêtes de l’angle trièdre formé par les trois plans  : elles passent donc toutes trois par son sommet ; ce qu’il fallait démontrer.

19. On sait que par toute section plane faite dans une hyperboloïde, on peut faire passer un cône tangent à la surface de l’hyperboloïde. D’après cela, soit une section conique quelconque ; faisons passer par cette section une hyperboloïde de révolution ; menons le cône tangent à cette surface, et considérons tout le système que nous allons décrire comme une opération de perspective, l’œil étant au sommet du cône, et le plan de la courbe servant de tableau.

Prenons à volonté sur la courbe six points , et faisons passer par ces six points six génératrices , alternativement directes et inverses, nous reformerons l’hexagone gauche du no 13.

En observant que si l’on mène par un de ces points un plan tangent à l’hyperboloïde, il passera par le sommet du cône tangent que nous avons supposé construit, ainsi que par la génératrice qui passe au point de contact, nous nous convaincrons facilement que la perspective de chaque génératrice sur le plan de la section sera une tangente à la section. Ainsi, la perspective de l’hexagone gauche sera un hexagone circonscrit à la courbe, qui aura pour diagonale la perspective des trois diagonales de l’hexagone gauche ; mais celles-ci se croisant en un seul point, il en est de même de leurs perspectives ; donc :

Dans un hexagone circonscrit à une courbe du genre des sections coniques, si on mène les trois diagonales qui joignent les angles opposés, elles se croiseront en un même point. C’est le théorème de M. Brianchon.

20. La démonstration de ce théorème et de celui de Pascal, étant le but principal de cette note ; je ne m’appesantirai point sur plusieurs corollaires intéressans qu’on pourrait employer à la solution d’un grand nombre des plus beaux problèmes de géométrie. Je désire seulement que la simplicité et la facilité avec laquelle nous sommes parvenus à la démonstration de ces deux théorèmes, puisse engager quelque géomètre à s’occuper encore de cette partie agréable et piquante des mathématiques.


Fig. 1.



  1. Nous nous servons pour exprimer le plan de deux lignes de la même notation que pour exprimer leur angle, ce qui est sans inconvénient, et d’ailleurs exprime assez bien ce qu’on veut dire, puisqu’en effet les deux côtés d’un angle déterminent absolument la position d’un plan.