Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 3.djvu/199

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tout l’esprit, tout le sens et toutes les sortes de vues qu’il est possible ; élevée à cela par sa mère, et conduite par le chevalier de Lorraine, avec lequel elle étoit si anciennement et si étroitement unie qu’on les croyoit secrètement mariés. On a vu en plus d’un endroit de ces Mémoires quel homme c’étoit que ce Lorrain, qui, du temps des Guise, eût tenu un grand coin parmi eux. Mlle de Lislebonne ne lui étoit pas inférieure, et sous un extérieur froid, indolent, paresseux, négligé, intérieurement dédaigneux, brûloit de la plus vaste ambition avec une hauteur démesurée, mais qu’elle cachoit sous une politesse distinguée, et qu’elle ne laissoit se déployer qu’à propos.

Sur ces deux sœurs étoient les yeux de toute la cour. Le désordre des affaires et de la conduite de leur père, frère du feu duc d’Elbœuf, avoit tellement renversé leur marmite, que très souvent elles n’avoient pas à dîner chez elles. M. de Louvois leur donnoit noblement de l’argent que la nécessité leur faisoit accepter. Cette même nécessité les mit à faire leur cour à Mme la princesse de Conti, d’avec qui Monseigneur ne bougeoit alors ; elle s’en trouva honorée, elle les attira fort chez elle, les logea, les nourrit à la cour, les combla de présents, leur procura tous les agréments qu’elle put, que toutes trois surent bien suivre et faire valoir. Monseigneur les prit toutes trois en affection, puis en confiance ; elles ne bougèrent plus de la cour, et comme compagnie de Monseigneur, furent de tous les Marlys, et eurent toutes sortes de distinctions. La mère, âgée et retirée de tout cela avec bienséance, ne laissoit pas de tenir le timon de loin, et rarement venoit voir Monseigneur, pour qui c’étoit une fête. Tous les matins il alloit prendre du chocolat chez Mlle de Lislebonne. Là se ruaient les bons coups c’étoit à cette heure-là un sanctuaire où il ne pénétroit personne que lime d’Espinoy. Toutes deux étoient les dépositaires de son âme, et les confidentes de son affection pour Mlle Choin, qu’elles n’avoient eu garde d’abandonner, lorsqu’elle